Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/209

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quem torquebit felicior » (De ira, III, 30) (Jouissons de ce que nous avons sans faire de comparaison ; il n’y aura jamais de bonheur pour celui que tourmente un bonheur plus grand). Et ailleurs : « Quum adspexeris quot te antecedant, cogita quot sequantur » (Ep. 15) (Au lieu de regarder combien de personnes il y a au-dessus de vous, songez combien il y en a au-dessous) ; il nous faut donc considérer plus souvent ceux dont la condition est pire que ceux dont elle semble meilleure que la nôtre. Quand des malheurs réels nous frappent, la consolation la plus efficace, quoique dérivée de la même source que l’envie, sera la vue de souffrances plus grandes que les nôtres, et à côté de cela la fréquentation des personnes qui se trouvent dans notre cas, de nos compagnons de malheur.

Voilà pour le côté actif de l’envie. Pour le côté passif, il y a à observer que nulle haine n’est aussi implacable que l’envie ; aussi, au lieu d’être sans cesse occupé avec ardeur à exciter celle-ci, ferions-nous mieux de nous refuser cette jouissance, comme bien d’autres plaisirs, vu ses funestes conséquences.

Il existe trois aristocraties : 1° celle de la naissance et du rang, 2° celle de l’argent, 3° celle de l’esprit. Cette dernière est en réalité la plus distinguée et se fait aussi reconnaître pour telle, pourvu qu’on lui en laisse le temps : Frédéric le Grand n’a-t-il pas dit lui-même : « Les âmes privilégiées rangent à l’égal des souverains ? » Il adressait ces paroles à son maréchal de la cour, qui se trouvait choqué de ce que Voltaire était appelé à prendre