Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

place à une table réservée uniquement aux souverains et aux princes du sang, pendant que ministres et généraux dînaient à celle du maréchal. Chacune de ces aristocraties est entourée d’une armée spéciale d’envieux, secrètement aigris contre chacun de ses membres, et occupés, lorsqu’ils croient n’avoir pas à le redouter, à lui faire entendre de mille manières : « Tu n’es rien de plus que nous. » Mais ces efforts trahissent précisément leur conviction du contraire. La conduite à tenir par les enviés, consiste à conserver à distance tous ceux qui composent ces bandes et à éviter tout contact avec eux, de façon à en rester séparés par un large abîme ; quand la chose n’est pas faisable, ils doivent supporter avec un calme extrême les efforts de l’envie, dont la source se trouvera ainsi tarie. C’est ce que nous voyons aussi appliquer constamment. En revanche, les membres de l’une des aristocraties s’entendront d’ordinaire fort bien et sans éprouver d’envie avec les personnes faisant partie de chacune des deux autres, et cela parce que chacun met dans la balance son mérite comme équivalent de celui des autres.

11° Il faut mûrement et à plusieurs reprises méditer un projet avant de le mettre en œuvre, et même, après l’avoir pesé scrupuleusement, faut-il encore faire la part de l’insuffisance de toute science humaine ; vu les bornes de nos connaissances, il peut toujours y avoir encore des circonstances qu’il a été impossible de scruter ou de prévoir et qui pourraient venir fausser le résultat de toute notre spéculation. Cette réflexion mettra toujours un poids