Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/211

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dans le plateau négatif de la balance et nous portera, dans les affaires importantes, à ne rien mouvoir sans nécessité : « Quieta non movere. » Mais, une fois la décision prise et la main mise à l’œuvre, quand tout peut suivre son cours et que nous n’avons plus qu’à attendre l’issue, il ne faut plus se tourmenter par des réflexions réitérées sur ce qui est fait et par des inquiétudes toujours renaissantes sur le danger possible : il faut au contraire se décharger entièrement l’esprit de cette affaire, clore tout ce compartiment de la pensée et se tranquilliser par la conviction d’avoir tout pesé mûrement en son temps. C’est ce que conseille aussi de faire ce proverbe italien : « Legala pene, e poi lascia la andare » (Sangle ferme, puis laisse courir). Si, malgré tout, l’issue tourne à mal, c’est que toutes choses humaines sont soumises à la chance et à l’erreur. Socrate, le plus sage des hommes, avait besoin d’un démon tutélaire pour voir le vrai, ou au moins éviter les faux pas dans ses propres affaires personnelles ; cela ne prouve-t-il pas que la raison humaine n’y suffit point ? Aussi cette sentence, attribuée à un pape, que nous sommes nous-mêmes, en partie au moins, coupables des malheurs qui nous frappent, n’est pas vraie sans réserve et toujours, quoiqu’elle le soit dans la plupart des cas. C’est ce sentiment qui semble faire que les hommes cachent autant que possible leur malheur et qu’ils cherchent, aussi bien qu’ils y peuvent réussir, à se composer une mine satisfaite. Ils craignent qu’on ne conclue du malheur à la culpabilité.

12° En présence d’un événement malheureux, déjà ac-