Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/213

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mais « ο μη δαρει ςανθρωπος ου παιδευεναι » (l’homme non puni ne s’instruit pas).

13° En tout ce qui concerne notre bonheur ou notre malheur, il faut tenir la bride à notre fantaisie : ainsi, avant tout, ne pas bâtir des châteaux en l’air ; ils nous coûtent trop cher, car il nous faut, immédiatement après, les démolir, avec force soupirs. Mais nous devons nous garder bien plus encore de nous donner des angoisses de cœur en nous représentant vivement des malheurs qui ne sont que possibles. Car, si ceux-ci étaient complètement imaginaires ou du moins pris dans une éventualité très éloignée, nous saurions immédiatement, à notre réveil d’un pareil songe, que tout cela n’était qu’illusion ; par conséquent, nous nous sentirions d’autant plus réjouis par la réalité qui se trouve être meilleure, et nous en retirerions peut-être un avertissement contre des accidents fort éloignés, quoique possibles. Seulement notre fantaisie ne joue pas facilement avec de pareilles images ; elle ne bâtit guère, par pur amusement, que des perspectives riantes. L’étoffe de ses rêves sombres, ce sont des malheurs qui, bien qu’éloignés, nous menacent effectivement dans une certaine mesure ; voilà les objets qu’elle grossit, dont elle rapproche la possibilité en deçà de la vérité, et qu’elle peint des couleurs les plus effrayantes. Au réveil, nous ne pouvons pas secouer un semblable rêve comme nous le faisons d’un songe agréable, car ce dernier est démenti sans délai par la réalité, et ne laisse tout au plus après soi qu’un faible espoir de réalisation. En revanche, quand nous nous abandonnons à des idées noires (blue devils), nous rap-