Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui savent que la montre du premier donne seule l’heure vraie.

28° Les hommes ressemblent aux enfants qui prennent de mauvaises manières dès qu’on les gâte ; aussi ne faut-il être trop indulgent ni trop aimable envers personne. De même qu’ordinairement on ne perdra pas un ami pour lui avoir refusé un prêt, mais plutôt pour le lui avoir accordé, de même ne le perdra-t-on pas par une attitude hautaine et un peu de négligence, mais plutôt par un excès d’amabilité et de prévenance : il devient alors arrogant, insupportable, et la rupture ne tarde pas à se produire. C’est surtout l’idée qu’on a besoin d’eux que les hommes ne peuvent absolument pas supporter ; elle est toujours suivie inévitablement d’arrogance et de présomption. Chez quelques gens, cette idée naît déjà par cela seul qu’on est en relations ou bien qu’on cause souvent ou familièrement avec eux : ils s’imaginent aussitôt qu’il faut bien leur passer quelque chose et ils chercheront à étendre les bornes de la politesse. C’est pourquoi il y a si peu d’individus qu’on puisse fréquenter un peu plus intimement ; surtout faut-il se garder de toute familiarité avec des natures de bas étage. Que si, par malheur, un individu de cette espèce s’imagine que j’ai beaucoup plus besoin de lui qu’il n’a besoin de moi, alors il éprouvera soudain un sentiment comme si je lui avais volé quelque chose : il cherchera à se venger et à rentrer dans sa propriété. N’avoir jamais et d’aucune façon besoin des autres et le leur faire voir, voilà absolument la seule manière de maintenir sa supériorité dans les relations. En