Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même alors qu’il aura compris que les cinq sixièmes d’entre eux sont ainsi faits, au moral comme à l’intellectuel, que celui qui n’est pas forcé par les circonstances d’être en relation avec eux fait mieux de les éviter dès l’abord et de se tenir autant que possible hors de leur contact, même alors cet homme ne pourra, malgré tout, avoir une connaissance suffisante de leur petitesse et de leur mesquinerie ; il aura durant toute sa vie à étendre et à compléter cette notion ; mais jusqu’alors il fera encore bien des faux calculs à son détriment. En outre, bien que pénétré des enseignements reçus, il lui arrivera encore parfois, se trouvant dans une société de gens qu’il ne connaît pas encore, d’être émerveillé en les voyant tous paraître, dans leurs discours et dans leurs manières, entièrement raisonnables, loyaux, sincères, honnêtes et vertueux, et peut-être bien aussi intelligents et spirituels. Mais que cela ne l’égare pas ; cela provient tout simplement de ce que la nature ne fait pas comme les méchants poètes, qui, lorsqu’ils ont à présenter un coquin ou un fou, s’y prennent si lourdement et avec une intention si accentuée que l’on voit paraître pour ainsi dire derrière chacun de ces personnages l’auteur désavouant constamment leur caractère et leurs discours et disant à haute voix et en manière d’avertissement : « Celui-ci est un coquin, cet autre un fou ; n’ajoutez pas foi à ce qu’il dit. » La nature au contraire s’y prend à la façon de Shakespeare et de Gœthe : dans leurs ouvrages, chaque personnage, fût-il le diable lui-même, tant qu’il est en scène, parle comme il a raison de parler ; il est conçu d’une manière si objecti-