Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/250

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ouvert, taciturne ; le noble, sarcastique. Néanmoins cette éducation de soi-même, obtenue ainsi par une longue habitude, agira toujours comme un effort venant de l’extérieur, auquel la nature ne cesse jamais de s’opposer, et malgré lequel elle arrive parfois à éclater inopinément. Car toute conduite ayant pour mobile des maximes abstraites se rapporte à une conduite mue par le penchant primitif et inné, comme un mécanisme fait de main d’homme, une montre, par exemple, où la forme et le mouvement sont imposés à une matière qui leur est étrangère, se rapporte à un organisme vivant, où forme et matière se pénètrent mutuellement et ne font qu’un. Ce rapport entre le caractère acquis et le caractère naturel confirme la pensée énoncée par l’empereur Napoléon : « Tout ce qui n’est pas naturel est imparfait. » Ceci est vrai en tout et pour tous, au physique comme au moral ; et la seule exception que je me rappelle à cette règle, c’est l’aventurine naturelle, qui ne vaut pas l’artificielle.

Aussi, gardons-nous de toute affectation. Elle provoque toujours le mépris : d’abord elle est une tromperie, et comme telle une lâcheté, car elle repose sur la peur ; ensuite elle implique condamnation de soi-même par soi-même, puisqu’on veut paraître ce qu’on n’est pas et qu’on estime être meilleur que ce que l’on est. Le fait d’affecter une qualité, de s’en vanter, est un aveu qu’on ne la possède pas. Que des gens se vantent de quoi que ce soit, courage ou instruction, intelligence ou esprit, succès auprès des femmes ou richesses, ou noblesse, et l’on