Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/251

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pourra en conclure que c’est précisément sur ce chapitre-là qu’il leur manque quelque chose ; car celui qui possède réellement et complètement une qualité ne songe pas à l’étaler et à l’affecter ; il est parfaitement tranquille sous ce rapport. C’est ce que veut dire ce proverbe espagnol : « Herradura que chacolotea clavo le falta » (A ferrure qui sonne il manque un clou). Il ne faut certainement pas, nous l’avons déjà dit, lâcher entièrement les rênes et se montrer en entier tel qu’on est ; car le côté mauvais et bestial de notre nature est considérable et a besoin d’être voilé ; mais cela ne légitime que l’acte négatif, la dissimulation, mais nullement le positif, la simulation. Il faut savoir aussi que l’on reconnaît l’affectation dans un individu avant même d’apercevoir clairement ce qu’il affecte au juste. Enfin, cela ne peut pas durer à la longue, et le masque finira par tomber un jour. « Nemo potest personam diu ferre ; ficta cito in naturam suam recidunt » (Sénèque, De clem., l. I, c. 1) (Personne ne peut longtemps porter le masque, tout ce qui est déguisé reprend bientôt sa nature).

31° De même qu’on porte le poids de son propre corps sans le sentir, comme on le sentirait de tout corps étranger qu’on voudrait mouvoir, de même on ne remarque que les défauts et les vices des autres, et non les siens. Mais en revanche chacun possède en autrui un miroir dans lequel il peut voir distinctement ses propres vices, ses défauts, ses manières grossières et répugnantes. Mais il fait d’ordinaire comme le chien qui aboie contre le miroir, parce qu’il ne sait pas que c’est