Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/260

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nous porte à lui en faire quelque confidence ; vanité, quand ces affaires sont de nature à nous en rendre glorieux. Mais nous n’en exigeons pas moins que l’on apprécie notre confiance.

Nous ne devrions jamais, au contraire, être irrités par la méfiance, car elle renferme un compliment à l’adresse de la probité, et c’est l’aveu sincère de son extrême rareté qui fait qu’elle appartient à ces choses dont on met l’existence en doute.

36° J’ai exposé dans ma Morale l’une des bases de la politesse, cette vertu cardinale chez les Chinois ; l’autre est la suivante. La politesse repose sur une convention tacite de ne pas remarquer les uns chez les autres la misère morale et intellectuelle de la condition humaine, et de ne pas se la reprocher mutuellement ; d’où il résulte, au bénéfice des deux parties, qu’elle apparaît moins facilement.

Politesse est prudence ; impolitesse est donc niaiserie : se faire, par sa grossièreté, des ennemis, sans nécessité et de gaieté de cœur, c’est de la démence ; c’est comme si l’on mettait le feu à sa maison. Car la politesse est, comme les jetons, une monnaie notoirement fausse : l’épargner prouve de la déraison ; en user avec libéralité, de la raison. Toutes les nations terminent leurs lettres par cette formule : « Votre très humble serviteur », « Your most obedient servant, » « Suo devotissimo servo ». Les Allemands seuls suppriment le « Diener » (serviteur), car ce n’est pas vrai, disent-ils. Celui, au contraire, qui pousse la politesse jusqu’au sacrifice d’intérêts réels, ressemble