Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/261

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à un homme qui donnerait des pièces d’or en place de jetons. De même que la cire, dure et cassante de sa nature, devient moyennant un peu de chaleur si malléable qu’elle prend toutes les formes qu’il plaira de lui donner, on peut, par un peu de politesse et d’amabilité, rendre souples et complaisants jusqu’à des hommes revêches et hostiles. La politesse est donc à l’homme ce que la chaleur est à la cire.

Il est vrai de dire qu’elle est une rude tâche, en ce sens qu’elle nous impose des témoignages de considération pour tous, alors que la plupart n’en méritent aucune ; en outre, elle exige que nous feignions le plus vif intérêt, quand nous devons nous sentir heureux de ne leur en porter nullement. Allier la politesse à la dignité est un coup de maître.

Les offenses, consistant toujours au fond dans des manifestations de manque de considération, ne nous mettraient pas si facilement hors de nous si, d’une part, nous ne nourrissions pas une opinion très exagérée de notre haute valeur et de notre dignité, ce qui est de l’orgueil démesuré, et si, d’autre part, nous nous étions bien rendu compte de ce que d’ordinaire, au fond de son cœur, chacun croit et pense à l’égard des autres. Quel criant contraste pourtant entre la susceptibilité de la plupart des gens pour la plus légère allusion critique dirigée contre eux et ce qu’ils auraient à entendre s’ils pouvaient surprendre ce que disent d’eux leurs connaissances ! Nous ferions mieux de toujours nous souvenir que la politesse n’est qu’un masque ricaneur ; de cette façon, nous ne nous