Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gnez la crédulité ; alors il devient effronté, ment plus fort, et on le démasque. Si vous remarquez au contraire qu’une vérité qu’il voudrait dissimuler lui échappe en partie, faites l’incrédule, afin que, provoqué par la contradiction, il fasse avancer toute la réserve.

42° Considérons toutes nos affaires personnelles comme des secrets ; au delà de ce que les bonnes connaissances voient de leurs propres yeux, il faut leur rester entièrement inconnu. Car ce qu’elles sauraient touchant les choses les plus innocentes peut, en temps et lieu, nous être funeste. En général, il vaut mieux manifester sa raison par tout ce que l’on tait que par ce qu’on dit. Effet de prudence dans le premier cas, de vanité dans le second. Les occasions de se taire et celles de parler se présentent en nombre égal, mais nous préférons souvent la fugitive satisfaction que procurent les dernières au profit durable que nous tirons des premières. On devrait se refuser jusqu’à ce soulagement de cœur que l’on éprouve à se parler parfois à haute voix à soi-même, ce qui arrive facilement aux personnes vives, pour n’en pas prendre l’habitude ; car, par là, la pensée devient à tel point l’âme et la sœur de la parole, qu’insensiblement nous arrivons à parler aussi avec les autres comme si nous pensions tout haut ; et cependant la prudence commande d’entretenir un large fossé toujours ouvert entre la pensée et la parole.

Il nous semble parfois que les autres ne peuvent absolument pas croire à une chose qui nous concerne, tandis qu’ils ne songent nullement à en douter ; s’il nous arrive cependant d’éveiller ce doute en eux, alors en effet ils ne