Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/272

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stinctif et énergique de soi-même, sans lequel l’être périt. Agir en vertu de principes abstraits est difficile, et ne réussit qu’après un long apprentissage et, même alors, pas toujours ; souvent aussi, ces principes sont insuffisants. En revanche, chacun possède certains principes innés et concrets, logés dans son sang et dans sa chair, car ils sont le résultat de tout son penser, de son sentir et de son vouloir. La plupart du temps, il ne les connaît pas in abstracto, et ce n’est qu’en portant ses regards sur sa vie passée qu’il s’aperçoit leur avoir obéi sans cesse et avoir été mené par ces principes comme par un fil invisible. Selon leur qualité, ils le conduiront à son bonheur ou à son malheur.

49° On devrait ne jamais perdre de vue l’action qu’exerce le temps ni la mobilité des choses ; par conséquent, dans tout ce qui arrive actuellement, il faudrait évoquer de suite l’image du contraire : ainsi, dans le bonheur, se représenter vivement l’infortune ; dans l’amitié, l’inimitié ; par le beau temps, la mauvaise saison ; dans l’amour, la haine ; dans la confiance et l’épanchement, la trahison et le repentir ; et l’inverse également. Nous trouverions là une source intarissable de sagesse pour ce monde, car nous serions toujours prudents et nous ne nous laisserions pas abuser si facilement. Du reste, dans la plupart des cas, nous n’aurions fait ainsi qu’anticiper sur l’action du temps. Il n’est peut-être aucune notion pour laquelle l’expérience soit aussi indispensable que pour la juste appréciation de l’inconstance et de la vicissitude des choses. Comme chaque situation, pour le temps de sa durée, existe nécessaire-