Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/298

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seulement ce qu’on dépense se renouvelle tout seul, mais le capital lui-même augmente. Ceci arrive aussi parfois pour l’argent, grâce aux soins prévoyants d’un tuteur, honnête homme. O jeunesse fortunée ! O triste vieillesse ! Il faut, malgré tout cela, ménager les forces de la jeunesse. Aristote observe (Politique, liv. der., ch. 5)[1] que, parmi les vainqueurs aux jeux Olympiques, il ne s’en est trouvé que deux ou trois qui, vainqueurs une première fois comme jeunes gens, aient triomphé encore comme hommes faits, parce que les efforts prématurés qu’exigent les exercices préparatoires épuisent tellement les forces, qu’elles font défaut plus tard, dans l’âge viril. Ce qui est vrai de la force musculaire l’est encore davantage de la force nerveuse dont les productions intellectuelles ne sont toutes que les manifestations : voilà pourquoi les ingenia præcocia, les enfants prodiges, ces fruits d’une éducation en serre chaude, qui étonnent dans leur bas âge, deviennent plus tard des têtes parfaitement ordinaires. Il est même fort possible qu’un excès d’application précoce et forcée à l’étude des langues anciennes soit la cause qui a fait tomber plus tard tant de savants dans un état de paralysie et d’enfance intellectuelle.

J’ai remarqué que le caractère chez la plupart des hommes semble être plus particulièrement adapté à un des âges de la vie, de manière que c’est à cet âge-là qu’ils se présentent sous leur jour le plus favorable. Les uns sont d’aimables jeunes gens, et puis c’est fini ; d’autres,

  1. Il y a erreur : ce n’est pas au chapitre 5, mais au chapitre 8, que se trouve l’observation citée par Schopenhauer. (Le trad.)