Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/75

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Mais la fortune patrimoniale atteint sa plus haute valeur lorsqu’elle échoit à celui qui, doué de forces intellectuelles supérieures, poursuit des dessins dont la réalisation ne s’accommode pas à un travail pour vivre : placé dans ces conditions, cet homme est doublement doté par le sort ; il peut maintenant vivre tout à son génie, et il payera au centuple sa dette envers l’humanité en produisant ce que nul autre ne pourrait produire et en créant ce qui constituera le bien et en même temps l’honneur de la communauté humaine. Tel autre, placé dans une situation aussi favorisée, méritera bien de l’humanité par ses œuvres philanthropiques. Quant à celui qui, possédant un patrimoine, ne produit rien de semblable, dans quelque mesure que ce soit, fût-ce à titre d’essai, ou qui par des études sérieuses ne se crée pas au moins la possibilité de faire progresser une science, celui-là n’est qu’un fainéant méprisable. Il ne sera pas heureux non plus, car le fait d’être affranchi du besoin le transporte à l’autre pôle de la misère humaine, l’ennui, qui le torture tellement qu’il serait bien plus heureux si le besoin lui avait imposé une occupation. Cet ennui le fera se jeter facilement dans des extravagances qui lui raviront cette fortune dont il n’était pas digne. En réalité, une foule de gens ne sont dans l’indigence que pour avoir dépensé leur argent pendant qu’ils en avaient, afin de procurer un soulagement momentané à l’ennui qui les oppressait.

Les choses se passent tout autrement quand le but qu’on poursuit est de s’élever haut dans le service de l’État ; quand il s’agit, par conséquent, d’acquérir de la faveur, des amis, des relations, au moyen desquels on