Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/84

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influence, nous pouvons la poursuivre depuis le point où elle se montre sous la forme d’une déférence anxieuse et servile pour le qu’en-dira-t-on jusqu’à celui où elle plonge le poignard de Virginius dans le sein de sa fille, ou bien où elle entraîne l’homme à sacrifier à sa gloire posthume son repos, sa fortune, sa santé et jusqu’à sa vie. Ce préjugé offre, il est vrai, à celui qui est appelé à régner sur les hommes ou en général à les guider, une ressource commode ; aussi le précepte d’avoir à tenir en éveil ou à stimuler le sentiment de l’honneur occupe-t-il une place principale dans toutes les branches de l’art de dresser les hommes ; mais, à l’égard du bonheur propre de l’individu, et c’est là ce qui nous occupe ici, il en est tout autrement, et nous devons au contraire le dissuader d’attacher trop de prix à l’opinion des autres. Si, néanmoins, ainsi que nous l’apprend l’expérience, le fait se présente chaque jour ; si ce que la plupart des gens estiment le plus est précisément l’opinion d’autrui à leur égard, et s’ils s’en préoccupent plus que de ce qui, se passant dans leur propre conscience, existe immédiatement pour eux ; si donc, par un renversement de l’ordre naturel, c’est l’opinion qui leur semble être la partie réelle de leur existence, l’autre ne leur paraissant en être que la partie idéale ; s’ils font de ce qui est dérivé et secondaire l’objet principal, et si l’image de leur être dans la tête des autres leur tient plus à cœur que leur être lui-même ; cette appréciation directe de ce qui, directement, n’existe pour personne, constitue cette folie à laquelle on a donné le nom de vanité, « vanitas », pour