Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/85

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indiquer par là le vide et le chimérique de cette tendance. On peut facilement comprendre aussi, par ce que nous avons dit plus haut, qu’elle appartient à cette catégorie d’erreurs qui consistent à oublier le but pour les moyens, comme l’avarice.

En effet, le prix que nous mettons à l’opinion et notre constante préoccupation à cet égard dépassent presque toute portée raisonnable, tellement que cette préoccupation peut être considérée comme une espèce de manie répandue généralement, ou plutôt innée. Dans tout ce que nous faisons comme dans tout ce que nous nous abstenons de faire, nous considérons l’opinion des autres avant toute chose presque, et c’est de ce souci qu’après un examen plus approfondi nous verrons naître environ la moitié des tourments et des angoisses que nous ayons jamais éprouvés. Car c’est cette préoccupation que nous retrouvons au fond de tout notre amour-propre, si souvent lésé, parce qu’il est si maladivement susceptible, au fond de toutes nos vanités et de toutes nos prétentions, comme au fond de notre somptuosité et de notre ostentation. Sans cette préoccupation, sans cette rage, le luxe ne serait pas le dixième de ce qu’il est. Sur elle repose tout notre orgueil, point d’honneur et « puntiglio », de quelque espèce qu’il soit et à quelque sphère qu’il appartienne, — et que de victimes ne réclame-t-elle pas souvent ! Elle se montre déjà dans l’enfant, puis à chaque âge de la vie ; mais elle atteint toute sa force dans l’âge avancé, parce qu’à ce moment l’aptitude aux jouissances sensuelles ayant tari, vanité et orgueil n’ont plus à partager l’empire