Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/88

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préoccupations, nos chagrins, les soucis rongeurs, nos colères, nos inquiétudes, nos efforts, etc., ont en vue presque entièrement l’opinion des autres et sont aussi absurdes que ceux des pauvres diables cités plus haut. L’envie et la haine partent également, en grande partie, de la même racine.

Rien évidemment ne contribuerait davantage à notre bonheur, composé principalement de calme d’esprit et de contentement, que de limiter la puissance de ce mobile, de l’abaissera un degré que la raison puisse justifier (au 1/50 par exemple) et d’arracher ainsi de nos chairs cette épine qui les déchire. Néanmoins la chose est bien difficile ; nous avons affaire ici à un travers naturel et inné : « Etiam sapientibus cupido gloriæ novissima exuitur, » dit Tacite (Hist. IV, 6) (La passion de la gloire est la dernière dont les sages mêmes se dépouillent ; trad. édition Dubochet, Paris ; 1850). Le seul moyen de nous délivrer de cette folie universelle, serait de la reconnaître distinctement pour une folie, et, à cet effet, de nous rendre bien clairement compte à quel point la plupart des opinions, dans les têtes des hommes, sont le plus souvent fausses, de travers, erronées et absurdes ; combien l’opinion des autres a peu d’influence réelle sur nous dans la plupart des cas et des choses ; combien en général elle est méchante, tellement qu’il n’est personne qui ne tombât malade de colère s’il entendait sur quel ton on parle et tout ce qu’on dit de lui ; combien enfin l’honneur lui-même n’a, à proprement parler, qu’une valeur indirecte et non immédiate, etc. Si nous pouvions réussir à opé-