Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/89

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rer la guérison de cette folie générale, nous gagnerions infiniment en calme d’esprit et en contentement, et nous acquerrions en même temps une contenance plus ferme et plus sûre, une allure beaucoup plus dégagée et plus naturelle. L’influence toute bienfaisante d’une vie retirée sur notre tranquillité d’âme et sur notre satisfaction, provient en grande partie de ce qu’elle nous soustrait à l’obligation de vivre constamment sous les regards des autres et, par suite, nous enlève à la préoccupation incessante de leur opinion possible : ce qui a pour effet de nous rendre à nous-mêmes. De cette façon, nous échapperons également à beaucoup de malheurs réels dont la cause unique est cette aspiration purement idéale ou, plus correctement dit, cette déplorable folie ; il nous restera aussi la faculté de donner plus de soin aux biens réels que nous pourrons goûter alors sans en être distrait. Mais, « χαλεπα πα καλα », nous l’avons déjà dit.

Cette folie de notre nature, que nous venons de décrire, pousse trois rejetons principaux : l’ambition, la vanité et l’orgueil. Entre ces deux derniers, la différence consiste en ce que l’orgueil est la conviction déjà fermement acquise de notre propre haute valeur sous tous les rapports ; la vanité, au contraire, est le désir de faire naître cette conviction chez les autres et, d’ordinaire, avec le secret espoir de pouvoir par la suite nous l’approprier aussi. Ainsi l’orgueil est la haute estime de soi-même, procédant de l’intérieur, donc directe ; la vanité, au contraire, est la tendance à l’acquérir du dehors, donc indirectement. C’est pourquoi la vanité rend causeur ; l’orgueil,