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LA SECONDE CLASSE D’OBJETS POUR LE SUJET

mais ils éliminent le d, et ce mot « Ahnung » (vague soupçon) donne à toute cette affaire une teinte de niaiserie qui, grâce à la physionomie hébétée de l’apôtre du moment qui prêche cette sagesse, doit nécessairement lui procurer accès et crédit.

Mes lecteurs savent que j’attache au mot idée exclusivement son sens primitif, platonicien, que j’ai longuement exposé, principalement dans le troisième livre de mon grand ouvrage. D’autre part, les Français et les Anglais donnent au mot idée, idea, une signification très vulgaire, mais pourtant très bien déterminée et très claire. Par contre, les Allemands, quand on leur parle d’idées (surtout quand on prononce : udée[1], se sentent pris de vertiges ; ils perdent toute présence d’esprit, et il leur semble qu’ils s’élèvent en ballon. Il y avait donc moyen de faire là quelque chose ; aussi le plus imprudent de tous, Hegel, le charlatan bien connu, a-t-il, sans se gêner, appelé son principe du monde et de toute chose « l’Idée », — et en effet les voilà tous convaincus qu’on leur présente là du sérieux. — Cependant si l’on ne se laisse pas déconcerter, si l’on demande ce que sont au juste ces idées dont la raison est dite être la faculté, on obtient pour explication un verbiage ampoulé, creux et confus, conçu en périodes si enchevêtrées et si longues que le lecteur, s’il ne s’est pas déjà endormi au milieu, se trouve à la fin dans un état d’étourdissement plutôt que dans la condition d’esprit de quelqu’un qui vient de s’instruire, où peut-être bien

  1. Vice de prononciation dans les classes incultes en Allemagne et qui a pénétré même auprès de quelques savants. (Le trad.)