Page:Schopenhauer - De la quadruple racine, 1882, trad. Cantacuzène.djvu/204

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LA RAISON

intellectuel, il existe un point d’ébullition où toute croyance, toute révélation, toute autorité s’évaporent ; où l’homme aspire à voir par lui-même et où il demande qu’on l’instruise, mais qu’on le convainque aussi. Il a rejeté la lisière de l’enfance et veut se tenir debout sans aide. Mais en même temps son besoin métaphysique (voir Le monde comme volonté et représentation vol. II, ch. 17) est tout aussi indestructible que n’importe quel besoin physique. Les aspirations à la philosophie deviennent alors de plus en plus impérieuses, et l’humanité, dans son dénuement, invoque tous les grands penseurs sortis de son sein. Alors le verbiage creux et les efforts impuissants d’eunuques intellectuels ne suffisent plus ; il faut une philosophie sérieusement entendue, c’est-à-dire cherchant la vérité, et non des appointements et des honoraires ; une philosophie, par conséquent, qui ne s’inquiète pas de savoir si elle agrée aux ministres ou aux conseillers, ou bien si elle s’accorde avec les droguas débitées par tel ou tel parti religieux dominant, mais qui monte que sa mission est toute autre que celle de constituer une ressource pour les pauvres d’esprit.

Mais laissons cela et revenons à notre sujet. — Aux oracles pratiques dont Kant avait à tort doté la raison, on adjoignit, par une amplification qui ne demandait qu’un peu d’audace, un oracle théorétique. L’honneur de l’invention doit en revenir à F.-H. Jacobi, et c’est des mains de ce cher homme que les professeurs de philosophie tiennent ce précieux cadeau qu’ils ont accepté avec jubilation et gratitude. Car ce don les aidait à sortir de la