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PARERGA ET PARALIPOLENA

hommes éclairés ; et cela parce que Kant était venu auparavant triompher du dogmatisme théiste, faisant ainsi place au panthéisme ; de la sorte, l’esprit du temps se trouvait préparé pour la doctrine, comme un champ tout labouré, pour la semence. Au xviie siècle, au contraire, la philosophie avait abandonné cette voie, pour aboutir d’une part à Locke par les travaux préparatoires de Bacon et de Hobbes, de l’autre par Leibnitz à Christian Wolf ; tous deux régnèrent alors au xviiie siècle, principalement en Allemagne, bien que, à la fin, ce ne fût plus que comme ayant été embrassés dans l’éclectisme syncrétique.

Les travaux profondément médités de Malebranche ont donné l’impulsion première à la création du système de Leibnitz sur l’harmonie préétablie, dont la célébrité si universelle en son temps et la haute considération témoignent que c’est l’absurde qui fait le plus facilement fortune en ce monde. Bien que je ne puisse pas me flatter d’avoir une idée bien claire des monades de Leibnitz, qui sont à la fois des points mathématiques, des atomes matériels et des âmes, cependant ce qui me paraît indubitable, c’est qu’une pareille hypothèse, une fois bien établie, pourrait servir à s’épargner toute hypothèse ultérieure à l’effet d’expliquer la liaison entre l’idéal et le réel, et à trancher carrément la question par là que les deux seraient déjà identifiés dans les monades (c’est pourquoi aussi, de nos jours, Schelling s’en est donné le divertissement en fondant le système d’identité). Malgré cela, il n’a pas plu au célèbre mathématicien, philosophe, historien universel et grand politique, de l’employer à cet