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LA DOCTRINE DE L’IDÉAL ET DU RÉEL

à laquelle un penseur éminent a pu être entraîné dans le sujet qui nous occupe, prouve la grandeur, la difficulté, l’incertitude du problème, et l’impossibilité de l’écarter et de trancher ainsi le nœud en se bornant tout simplement à nier le problème, comme on l’a osé de nos jours.

Spinoza, à son tour, procède directement de Descartes ; au commencement, en fervent cartésien, il conserva même le dualisme de son maître, c’est-à-dire qu’il admit une substance pensante et une substance étendue, l’une comme sujet, l’autre comme objet de la connaissance. Plus tard, au contraire, volant de ses propres ailes, il trouva que les deux ne sont qu’une seule et même substance, considérée par des côtés différents, et saisie une fois comme substantia extensa et une autre fois comme substantia cogitans. Ce qui signifie, au vrai, que la distinction entre la substance pensante et la substance étendue, ou entre l’esprit et le corps, n’est pas fondée ; par conséquent qu’elle est inadmissible : il eût donc dû n’en plus être fait mention. Mais il persiste à la conserver en ce sens qu’il répète sans cesse que les deux ne font qu’un. Il y ajoute ensuite, en le joignant par un simple sic etiam, que modus extensionis et idea illius modi una eademque est res (Eth., P. II, prop. 7 schol.) ; il entend par là que notre représentation des corps et ces corps eux-mêmes sont identiques. Mais pour cela le sic etiam est une transition insuffisante : car de ce que la distinction entre l’esprit et le corps ou entre le pensant et l’étendu n’est pas fondée, il ne s’ensuit nullement que celle entre notre représentation et quelque chose d’objectif et de réel, dis-