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LA DOCTRINE DE L’IDÉAL ET DU RÉEL

nous nous trouvons devant l’idéalisme de Berkeley, lequel est incontestable. Toutefois Locke non plus n’est pas sans avoir eu en vue ce problème fondamental, l’abîme entre la représentation en nous et l’objet existant indépendant de nous, bref la différence entre l’idéal et le réel ; mais il s’en acquitte, pour le point capital, par des arguments pris dans une raison saine, mais grossière, et s’en rapporte à ce que notre perception des objets est bien suffisante pour les besoins de la pratique (ibid., L. IV, ch. 4 et 9) ; ce qui manifestement est étranger à la question et montre à quel degré d’infériorité l’empirisme reste ici à l’égard du problème. Mais son réalisme le conduit précisémentà limiter ce qui correspond au réel dans la connaissance, aux propriétés inhérentes aux choses telles qu’elles sont en soi et de les distinguer de celles qui appartiennent purement, à la connaissance de ces choses, donc uniquement à l’idéal ; il appelle en conséquence celles-ci les propriétés secondaires et les autres les primaires. C’est là l’origine de cette distinction entre la chose en soi et le phénomène, devenue plus tard d’une si haute importance dans la philosophie kantienne, et c’est là aussi le point d’attache originel qui relie la philosophie de Kant à celle de ses prédécesseurs, et nommément à celle de Locke. Elle a été provoquée et plus spécialement motivée par les objections sceptiques de Hume à la doctrine de Locke, tandis qu’elle n’a qu’un rapport polémique avec la philosophie leibnitz-wolfienne.

Ces propriétés primaires, qui sont censées caractériser exclusivement les choses en soi, c’est-à-dire leur appartenir même en dehors et indépendamment de notre représenta-