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APRIORITÉ DE LA NOTION DE CAUSALITÉ

leur bien-aimé Absolu prend ses ébats. Mais moi je vais démontrer maintenant quel abîme immense sépare la sensation de la perception, en indiquant combien sont grossiers les matériaux qui composent ce bel édifice.

A proprement parler, deux sens seulement servent à la perception objective : le tact et la vue. Eux seuls fournissent les données sur la base desquelles l’entendement, par l’opération que nous venons d’indiquer, fait naître le monde objectif. Les trois, autres sens restent, en grande partie, subjectifs : car leurs sensations indiquent bien une cause extérieure, mais ne contiennent aucune donnée propre à en déterminer les relations dans l’espace. Or l’espace est la forme de toute intuition, c’est-à-dire de cette appréhension dans laquelle seule les objets peuvent se représenter. Aussi ces trois autres sens peuvent bien servir à nous annoncer la présence d’objets qui nous sont déjà autrement connus ; mais aucune construction dans l’espace, donc aucune perception objective ne peut s’effectuer sur la base de leurs données. Nous ne pourrons jamais construire la rose au moyen de son parfum ; et un aveugle pourra toute sa vie durant entendre de la musique, sans obtenir par là la moindre représentation objective à l’égard des musiciens, ou des instruments, ou des vibrations de l’air. Par contre, l’ouïe a une haute valeur, comme intermédiaire de la parole : ce qui en fait le sens de la raison, dont le nom même en dérive (en allemand) ; en outre, il est l’intermédiaire de la musique, l’unique voie pour saisir des rapports numériques compliqués, non pas seulement in abstracto, mais immédiatement, c’est-à-dire