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essai sur le libre arbitre

juridique et morale est, selon les circonstances, plus ou moins abolie, mais elle subsiste toujours en partie. En Angleterre, un meurtre commis dans un état de surexcitation complète et sans la moindre réflexion, dans la violence d’une crise de colère subitement provoquée, est qualifié de manslaughter (homicide) et puni d’une peine légère, ou même parfois absous. — L’ivresse est un état qui prédispose aux passions, parce qu’il augmente la vivacité des représentations sensibles, en affaiblissant par contre la pensée in abstracto, et accroît en outre l’énergie de la volonté. À la responsabilité des actions mêmes se substitue ici la responsabilité de l’ivresse : et c’est pourquoi les délits commis dans cet état ne restent pas complètement impunis en justice, bien que la liberté intellectuelle y soit en partie supprimée[1].

Aristote, dans l’Éthique à Eudème (II, c. 7 et 9) et avec un peu plus de détail dans l’Éthique à Nicomaque (III, c. 2), parle déjà, quoique d’une façon très-sommaire et très-insuffisante, de cette liberté intellectuelle, τὸ ἑϰούσιον ϰαὶ ἀϰούσιον ϰατὰ διανοίαν[2]. — C’est elle qui est en question, lorsque la médecine

  1. Aristote a admirablement traité cette question de droit : il a vu que si l'on n’est pas directement responsable des actes commis dans l’ivresse ou dans la passion, on peut cependant être rendu responsable de cette irresponsabilité même. V. Éthique à Nicomaque, liv. III, ch. 6.
  2. « Tout ce qu’on fait librement, on le fait en le voulant ; et tout ce qu’on fait en le voulant, on le fait librement. » (Éthique à Eudème.) Schopenhauer est très-injuste envers Aristote, qui n’a pas confondu, comme il le prétend, la volonté avec la liberté : il dit même expressément (Éthique à Eudème, II, VII, 11) : « Il nous parait impossible de confondre la volonté et la liberté. » V. la préface de M, Barthélémy St-Hilaire.