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essai sur le libre arbitre

peine dans ce cas, en conséquence de la perversité de sa nature morale, qui sous l'action des circonstances, c’est-à-dire des motifs, et de son intelligence, qui lui faisait entrevoir l'espérance de l'impunité, a produit l'action d'une façon inévitable. Cela posé, il n’y aurait injustice à son égard que si son caractère moral n’était pas son propre ouvrage, son acte intelligible, mais l'ouvrage de quelque force différente de lui[1]. La même relation se constate entre une action et ses conséquences, lorsqu’une manière d’agir coupable porte les fruits qu’elle mérite, non par l’effet des lois des hommes, mais par celui des lois de la nature, par exemple lorsque des débordements infâmes amènent d’affreuses maladies, ou bien dans le cas où un malfaiteur, en essayant de pénétrer par force dans une maison, éprouve quelque mécompte fortuit, par exemple lorsque s’étant introduit la nuit dans une étable à porcs, pour en dérober les hôtes accoutumés, il trouve à leur place un ours, dont le maître est descendu la veille dans cette même auberge, et qui s’élance à sa rencontre les bras ouverts.

  1. La question de la conciliation du déterminisme et de la pénalité légale méritait d’être traitée avec plus de détail : cette conciliation, essayée par Platon et reprise par Spinoza, conduit, comme l'a parfaitement vu M. Fouillée, à la morale de l'intérêt, ce qui reporte de nouveau la question de la liberté sur le terrain de la morale. La charité, l’abnégation, l’amour, tout ce qui éloigne l’homme des considérations d’intérêt individuel ou collectif, seraient donc les faits à invoquer pour assurer, malgré les arguments qu’on a lus dans les pages qui précèdent, le triomphe final de l’idée de la liberté. Voyez l’allégorie profonde, et tout à fait digne de Platon, qui termine la Liberté et le Déterminisme, un des chefs-d’œuvre, nous nous plaisons à le dire après bien d’autres, de la philosophie française au dix-neuvième siècle.