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appendice ii

dans tous les actes de l'individu et imprimé en eux comme un chiffre sur mille cachets ; c’est lui qui détermine le caractère empirique, lequel, en tant que phénomène, se révèle dans le temps et par une succession d’actes, et qui par suite doit montrer, dans toutes ses manifestations que les motifs provoquent, la constance invariable d'une loi naturelle. Cette théorie fournissait encore une explication rationnelle et vraiment philosophique de cette invariabilité, de cette constance inflexible du caractère empirique de tout homme, que les penseurs sérieux avaient de tout temps constatée, tandis que les autres s'imaginaient qu’on pouvait transformer le caractère d’un individu par des leçons de morale. Ainsi la philosophie était mise d’accord avec l’expérience, et n’avait plus à rougir devant la sagesse populaire, qui avait depuis longtemps énoncé cette vérité dans le proverbe espagnol : Lo que entra con el capillo, sale con la mortaja (ce qui entre avec la casquette, s’en va avec le linceul) ; ou bien : Lo que en la leche se mama, en la mortaja se derrama (ce que l’on suce avec le lait, on le déverse dans le linceul).

Cette doctrine de Kant sur la coexistence de la liberté et de la nécessité me parait être ce que l'esprit humain a jamais produit de plus imposant et de plus profond. Elle et l’esthétique transcendantale sont les deux grands diamants dans la couronne de la gloire kantienne, qui brillera d’un éclat éternel…

On peut se faire une idée encore plus nette de cette doctrine de Kant et de l’essence de la liberté, en les reliant à une vérité générale, dont l’expression la plus complète me parait être ce principe souvent exprimé par les scolastiques : Operari