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essai sur le libre arbitre

l’abstraction, tirer de ce spectacle des notions générales (notiones universales), qu’il désigne par des mots, afin de pouvoir les fixer et les conserver dans son esprit. Ces mots donnent lieu ensuite à d’innombrables combinaisons, qui toujours, il est vrai, comme aussi les notions dont elles sont formées, se rapportent au monde perçu par les sens, mais dont l’ensemble constitue cependant ce qu’on appelle la pensée, grâce à laquelle peuvent se réaliser les grands avantages de la race humaine sur toutes les autres, à savoir le langage, la réflexion, la mémoire du passé, la prévision de l’avenir, l’intention, l’activité commune et méthodique d’un grand nombre d’intelligences, la société politique, les sciences, les arts, etc. Tous ces privilèges dérivent de la faculté particulière à l’homme de former des représentations non sensibles, abstraites, générales, que l’on appelle concepts (c’est-à-dire formes collectives et universelles de la réalité sensible), parce que chacune d’elles comprend une collection considérable d’individus[1]. Cette faculté fait défaut aux animaux, même aux plus intelligents : aussi n’ont-ils d’autres représentations que des représentations sensibles, et ne connaissent-ils que ce qui tombe immédiatement sous leurs sens,

  1. En allemand, Begriff, concept ou notion, vient du verbe begreifen, qui signifie comprehendere. La rigueur philosophique de la langue est ici parfaite.