Page:Schopenhauer - La Pensée, 1918, trad. Pierre Godet.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
introduction

fort claires risqueraient de demeurer peu intelligibles au lecteur novice. Ceci, du même coup. nous permettra de donner satisfaction en quelque mesure à ceux qui s’attendraient à voir ici un exposé, qu’on peut trouver dans plusieurs bons manuels, des grandes lignes du « système ».

Et d’abord le terme de Wille. Contrairement aux autres traducteurs français, qui tous, sauf erreur, traduisent Wille par « volonté », nous avons cru préférable de le traduire par « Vouloir », en soulignant d’un V majuscule l’emploi inaccoutumé de ce mot comme substantif. On fait mieux entendre ainsi. d’abord que le sens donné par Schopenhauer au mot Wille lui est particulier, ensuite que ce sens dépasse infiniment tout ce qu’on entend communément en français par « volonté », à savoir la volonté humaine consciente. Embrassant, à côté du conscient, tout l’inconscient, le « Vouloir » schopenhauerien embrasse donc aussi, en même temps que le « volontaire », tout l’« involontaire ». C’est dire déjà qu’il est le principe essentiel de toute vie ; et c’est en ce sens que « Vouloir » et « Vouloir-vivre » sont synonymes chez Schopenhauer. Mais il y a plus ; le « Vouloir » est plus que l’essence de toute vie, ou même de tout mouvement. Il est l’essence de toute matière et de toute forme, de tout phénomène et de tout objet ; il est l’essence de tout ce qui est, depuis la consistance, la structure et le mouvement de la pierre qui tombe, jusqu’à l’acte conscient et réfléchi de l’homme qui « veut ». En tant que nous le connaissons, ou pouvons le connaître, c’est-à-dire pour notre esprit, l’Univers tout entier n’est rien d’autre que « représentation » ; mais en soi, c’est-à-dire en dehors des formes de notre entendement — temps, espace, causalité, etc… — ou, si l’on veut, au delà de nos possibilités de connaissance, ce même Univers n’est rien d’autre que « Vouloir ».

Et comment puis-je le savoir ? Ou de quel droit donné-je ce nom de Vouloir à l’essence de tout ce qui est ? C’est qu’il y a une chose, répond Schopenhauer, —la seule au monde — qui ne m’est pas connue