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la pensée de schopenhauer

seulement de façon indirecte, c’est-à-dire sous forme de représentation, mais bien directement et comme une donnée intérieure immédiate : c’est cette chose que, ressentie au-dedans de moi, j’appelle précisément mon Vouloir. Or, s’il est certain que j’entrevoie en elle ce qui fait le fond et l’essence de mon propre être, j’ai le droit, moi qui fais partie intégrante de la nature, de l’appliquer, en lui conservant le même nom, à l’interprétation de tout l’Univers et d’en faire le principe unique auquel se ramène le contenu intérieur et caché de tous les phénomènes et de tous les êtres.

Comment ce Vouloir est par essence désir — désir d’être — et ce désir nécessairement souffrance ; comment ce Vouloir souffrant ne parvient à la rédemption qu’en se renonçant, pour avoir atteint chez un individu à l’intuition de sa propre essence et de sa propre unité dans toutes les créatures, et pour s’être aperçu se mutilant lui-même dans l’aveugle conflit des désirs et des égoïsmes individuels : c’est là ce que le texte de notre auteur saura mieux faire entendre. Il importe davantage ici de prévenir une erreur grossière, qui serait de considérer le Vouloir de Schopenhauer comme une explication de l’origine du monde, et ce que nous appelons, faute d’un meilleur mot, un principe essentiel, comme une cause. Toutes les causes sont dans le monde ; mais — pour cela même — il n’y a pas de cause du monde. C’est là un point capital de la pensée de Schopenhauer. Toutes les causes agissent dans le temps ; or le temps, qui est qu’une forme de notre esprit, est par essence sans commencement, et la chaîne des causes avec lui. Donc une cause du monde, une cause première, aussi bien au sens du dogmatisme matérialiste qu’au sens du dogmatisme chrétien — ces deux frères jumeaux qui se méconnaissent. — aussi bien comme première molécule que comme Jahveh créateur ; une cause première, arbitrairement insérée en un point du temps vu prétendant faire commencer le temps lui-même, est une contradiction dans les termes. Ainsi le Vouloir schopenhauerien n’est pas la cause de l’Univers. Il