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la pensée de schopenhauer

Pour le mot Erscheinung, on le rend en général dans le langage philosophique français par son équivalent grec « phénomène », qui est également usité en allemand, entre autres par Schopenhauer. Tous deux signifient « apparition » ou « manifestation ». Le phénomène — ou les phénomènes, — c’est en effet l’apparition ou la manifestation du Vouloir dans le visible, dans le sensible, laquelle constitue le monde de la représentation, autrement dit notre monde réel. Là où le mot Erscheinung est employé seul, nous le traduisons par « phénomène ». Là où il est suivi d’un complément, nous le traduisons en général par « manifestation ». On dit la manifestation, et non pas le phénomène, de quelque chose.

Quant au mot Idee, que l’adjonction d’un accent aigu suffit à traduire, mais auquel nous laissons à dessein sa majuscule allemande, Schopenhauer lui donne une signification toute spéciale. L’empruntant à Platon, comme il emprunte en partie à ce dernier la théorie qu’il y rattache — théorie sans doute assez chimérique aux yeux de la philosophie actuelle, — il conserve rigoureusement à ce vocable son sens grec et étymologique de forme ou d’image (είδος, videre). Ce qu’on retrouve dans les « Idées » du philosophe allemand, ce sont donc les « Idées » de Platon, ces species rerum, modèles immuables, archétypes éternels des choses, inaccessibles au sens commun, mais seule véritable réalité, qui projettent sur le mur de la caverne, en ombres changeantes et fugaces, le monde illusoire du sensible et du devenir. Le Vouloir, nous dit Schopenhauer, ne se manifeste pas, ne « s’objective » pas directement en phénomènes et en choses particulières. Il s’affirme dans le monde connaissable par l’intermédiaire de certaines formes ou de certaines forces de caractère fixe, qui sont les formes et les forces éternelles de la nature. Sous-traites comme le Vouloir même, dans leur essence propre, à toute prise de la connaissance, mais pro- jetées néanmoins en phénomènes et en objets qui multiplient à l’infini leur image dans le temps et dans l’espace, ces formes ou ces forces, en un mot ces