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ii. de la nature

elle s’est incarnée. De là vient que le bras qu’on tient en l’air un moment, en domptant la pesanteur, finit par s’affaisser. De là vient que le sentiment de bien-être que procure la santé, et par où s’exprime le triomphe de l’Idée de l’organisme conscient de lui-même sur les lois physiques et chimiques auxquelles la substance du corps est originairement soumise, n’en subit pas moins de fréquentes interruptions, et qu’il est en réalité toujours accompagné d’un certain malaise plus ou moins accentué, qui provient de la résistance de ces forces inférieures, et qui veut que déjà la portion purement végétative de notre vie soit inséparable de quelque souffrance. De là vient aussi que la digestion déprime toutes les fonctions de l’organisme, parce qu’elle exige le concours de toutes les forces vitales pour vaincre par l’assimilation les forces chimiques de la nature. De là vient, en somme, que la vie physique, d’une façon générale, nous impose un fardeau, lequel explique la nécessité du sommeil et finalement la nécessité de la mort, dès le moment où ces forces de la nature provisoirement subjuguées réussissent enfin, à la faveur de certaines circonstances, à reconquérir sur l’organisme équisé par la constance même de sa propre victoire la matière qu’il leur avait arrachée, pour revenir sans plus d’obstacles à la