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la pensée de schopenhauer

comme modèles, et les distinguera-t-il de celles où elle a échoué, si une anticipation du beau ne précède pas chez lui l’expérience ?

Une connaissance du beau purement a posteriori et tirée de la seule expérience n’est pas possible ; cette connaissance est toujours, au moins pour une part, a priori, bien que de toute autre nature que les formes du principe de raison inhérentes a priori à notre conscience. Nous avons donc en réalité une anticipation de ce que la nature — c’est-à-dire précisément ce Vouloir qui n’est rien d’autre que notre propre être — s’efforce de figurer ; anticipation qui s’accompagne chez le génie véritable d’assez de conscience réfléchie, pour qu’en discernant dans la chose particulière l’Idée de cette chose, il puisse en quelque sorte comprendre la nature à demi-mot, articuler clairement ce qu’elle ne fait que balbutier, imprimer au marbre dur cette beauté de la forme où mille fois elle s’est vainement essayée, et dresser cette beauté devant la nature, comme pour lui crier : « Tiens, voilà ce que tu voulais dire ! »