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la pensée de schopenhauer

s’efface déjà davantage dans l’idylle, encore plus dans le roman, presque tout à fait dans l’épopée, et enfin jusqu’à la dernière trace dans le drame, qui est à divers points de vue le genre de poésie le plus parfait. Il est aussi le plus difficile, et pour la même raison que le genre lyrique est le plus facile. Si, en effet, la création artistique est bien, dans la règle, un privilège réservé à cet être rare qu’est le génie véritable, il est cependant fort possible qu’un homme, par ailleurs peu éminent, dont une forte impression reçue du dehors et quelque enthousiasme auront exhaussé les facultés intellectuelles, arrive à composer un beau Lied ; car il n’y faut rien de plus qu’une vive intuition de son propre état, saisi dans l’émotion du moment. Nous en trouvons la preuve dans nombre de Lieder isolés dus à des hommes demeurés inconnus, en particulier dans les chants populaires allemands, dont le Wunderhorn nous offre un si beau recueil, comme d’ailleurs dans les chansons populaires, chansons d’amour ou autres, de tous pays et de toutes langues. S’emparer de l’état d’âme du moment pour l’incorporer en un chant, c’est là tout ce que fait cette sorte de poésie. Et cependant, dans le lyrisme des authentiques poètes, la vie intérieure de l’humanité entière se reflète. Tout ce qu’ont éprouvé