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iii. de l’art

ou éprouveront dans des situations toujours identiques, parce que toujours elles se répètent, des millions d’êtres humains qui ont été, qui sont ou qui seront, y trouve son expression adéquate ; et c’est parce que ces situations, par leur perpétuel retour, forment à l’humanité une destinée invariable et permanente comme cette humanité elle-même, éveillant toujours chez elle les mêmes émotions, que les œuvres lyriques des véritables poètes peuvent traverser les siècles sans rien perdre de leur vérité, de leur efficacité et de leur fraîcheur. Le poète n’est-il pas d’ailleurs, en principe, l’homme universel ? Tout ce qui a jamais pu émouvoir un cœur d’homme, tout ce qui, dans n’importe quelle situation, peut jaillir de l’être humain, ou tout ce que recèle et couve dans le secret, en quelque lieu que ce soit, une poitrine humaine, tout cela — comme aussi d’ailleurs la nature entière — est sa matière et son thème. C’est pourquoi, au gré de son humeur ou de sa vocation, le poète peut chanter la volupté aussi bien que la dévotion mystique, être Anacréon ou Angelus Silesius, écrire des tragédies ou des comédies, peindre l’âme haute comme l’âme vulgaire. Et nul n’a le droit de lui prescrire l’obligation d’être noble, élevé, moral, pieux, chrétien, que sais-je