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la pensée de schopenhauer

prince dans le Re Corvo de Gozzi, — apparaît toujours debout, pétrifié, mais dans une noble attitude et dans un geste magnanime. Sa mémoire demeure, célébrée comme celle d’un héros, et son Vouloir, mortifié au cours de toute une vie de peine et de labeur par les échecs et par l’ingratitude des hommes, s’éteint dans le Nirwana.


Sur la crainte de la mort.

Les dogmes changent, et notre savoir est trompeur ; mais la nature, elle, ne se trompe pas ; ses voies sont sûres et elle ne les dissimule point. Toute chose est tout entière en elle, et elle est tout entière en toute chose. Chaque animal est le centre de cette nature, qui lui a fait trouver l’accès de l’existence avec la même sûreté qu’elle lui en fera trouver l’issue : entre temps l’animal vit sans crainte, insoucieux de l’anéantissement, appuyé sur la conscience qu’il a d’être la nature même et d’être comme elle impérissable. L’homme seul porte avec lui, sous forme de concepts abstraits, la certitude de sa mort ; et pourtant, chose curieuse, cette certitude ne parvient à l’angoisser qu’à de rares et courts instants, et seulement quand une circonstance particulière oblige