Page:Schopenhauer - La Pensée, 1918, trad. Pierre Godet.djvu/33

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introduction

Sans faire comme certains, aujourd’hui, qui ont beau jeu de dédaigner en lui un « romantique », un « mystique », voire même un « théocrate », nous n’en discernerons pas moins ses limites et ses lacunes congénitales, ses partis pris obstinés, ses généralisations trop ambitieuses, ses chimères. En revanche, n’oublions pas que ces défauts, inhérents en quelque mesure à toute vraie personnalité, représentent ici l’envers d’un don merveilleux de configurateur plastique, qui développe, relie, ordonne en un tout organique, et pour cela même assujetti aux conditions de l’individuel, certaines intuitions par ailleurs très authentiques, profondes et durables de la réalité. Mais surtout il faut admirer chez Schopenhauer — et c’est principalement en quoi il est un « éducateur » — cette intransigeante autonomie intellectuelle, non moins que cette courageuse probité, cette entière véracité d’un esprit qui jamais ne se paie de mots ni ne jongle avec les concepts, qui jamais ne nous donne le change sur le véritable but de sa recherche, et pour qui la clarté logique n’est que l’expression du respect de ce qui est. Ne fût-ce que par là, par la direction, par l’attitude mentale, Schopenhauer, disciple des Indous, de Platon et de Kant, incarnation lui-même du véritable génie indo-européen, demeure aujourd’hui avec d’autres esprits parents, au milieu d’éléments plus troubles, en face de spéculations plus tendancieuses, une sorte de solide et précieux point de repère.

Faut-il ajouter, en ce temps où la renaissance des nationalismes s’affirme sur plus d’un point comme une réaction de légitime défense, que cet Allemand. la barrière de la langue une fois franchie, ne nous oppose aucun obstacle où se puissent achopper les partis-pris nationaux ou raciaux les plus ombrageux ? Il ne s’agit point ici des traits cruels qu’il décoche lui-même à ses compatriotes, et dont nous n’avons relevé aucun dans cet ouvrage. Nous voulons dire simplement que Schopenhauer est encore de ceux pour qui les appétits et les « impérialismes » particuliers des nations n’interviennent point dans le