Page:Schopenhauer - La Pensée, 1918, trad. Pierre Godet.djvu/342

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
300
la pensée de schopenhauer

vise, c’est : « tout pour moi, rien pour les autres ». L’égoïsme est colossal ; il domine et déborde le monde. Admettons qu’on mît chacun dans l’alternative de périr ou de voir périr l’Univers : est-il besoin de dire le parti que choisirait l’immense majorité des humains ? C’est dire que chacun fait de sa personne le centre du monde et rapporte tout à elle. En toutes circonstances, dans tout événement, en face même des grandes révolutions qui peuvent transformer la destinée des peuples, c’est toujours à son propre intérêt, si petit, si indirectement touché qu’il puisse être, que chacun pensera tout d’abord. Quel contraste plus complet que celui-ci : d’une part cette sollicitude sans bornes, exclusive, de chaque individu pour sa propre personne ; d’autre part l’indifférence complète avec laquelle, dans la règle, les autres considèrent cette même personne ou ledit individu la personne des autres ? Il y a même un côté comique dans le spectacle de ces êtres innombrables dont chacun, au moins pratiquement, se tient pour seul réel et regarde les autres en quelque sorte comme de simples fantômes. Pourquoi cela, en définitive ? Parce que chacun constitue pour sa propre conscience une donnée immédiate, tandis que les autres êtres ne lui sont