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la pensée de schopenhauer
De la pitié, fondement de la morale.

L’absence de tout motif égoïste est le critère de la valeur morale d’une action.

Or, dire d’une de mes actions qu’elle s’accomplit uniquement à cause d’un autre individu, c’est dire qu’elle a directement pour motif le bonheur ou la souffrance de cet individu, de la même façon que mon propre bonheur ou ma propre souffrance sont le motif de toutes mes autres actions. Voilà qui circonscrit d’emblée notre problème, en le ramenant à cette question : comment se fait-il que le bonheur ou la souffrance d’un autre puissent jamais mettre directement en action ma volonté, qu’ils puissent jamais devenir, de façon immédiate, son motif, tout comme s’il s’agissait de ma personne, et cela parfois au point de me faire négliger plus ou moins à leur profit cette souffrance ou ce bonheur personnels qui constituent d’habitude mes seuls motifs ? Uniquement, à ce qu’il semble, par le fait que cet autre individu devient lui-même le but suprême de mon Vouloir, tout comme je le suis moi-même dans tous les autres cas ; autrement dit, par le fait que ie veux son bien et redoute sa souffrance tout comme, en général, je veux mon bien et redoute ma souffrance. Or ceci suppose