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la pensée de schopenhauer
Des principes moraux.

Une conduite morale n’exige nullement que dans chaque cas donné l’homme éprouve réellement de la pitié. Aussi bien cette pitié arriverait-elle souvent trop tard pour déployer ses effets. Il suffit d’avoir appris à connaître une fois pour toutes les souffrances que toute action injuste entraîne pour les autres — souffrances qui s’accroissent du sentiment de l’injustice subie, c’est-à-dire de l’abus de pouvoir commis par le plus fort — et la maxime neminem læde (ne fais de tort à personne) s’en déduira d’elle-même pour toute âme noble. Après quoi la raison, à réfléchir sur cette maxime, la transformera en un programme moral définitif. Car, s’il est bien vrai que les principes — comme d’ailleurs tout ce qui est connaissance abstraite — ne sont en aucune façon la source ou le fondement premier de la moralité, ils n’en sont pas moins indispensables à une conduite morale. Ils constituent en quelque sorte le récipient, le réservoir, qui sert à capter et à conserver les dispositions issues de la source unique de toute moralité — laquelle source ne saurait jaillir continuellement — et qui les distribue selon les besoins, toutes les fois qu’elles trouvent l’occasion de s’appliquer. Les choses se