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la pensée de schopenhauer

le monde et la vie sous un angle tel, que la différence entre le moi et le non-moi y apparaisse supprimée. L’erreur serait donc dans la conception inverse. Aussi bien est-ce précisément celle-ci que les Indous désignent du nom de Maya, qui veut dire apparence, illusion, chimère. C’est dans l’autre, en revanche, que nous avons trouvé le fondement de la pitié, laquelle en est simplement la traduction dans la réalité. Cette conception, qui veut que parmi les individus l’un puisse se reconnaître lui-même directement dans l’autre, retrouver en lui l’essence même de son propre être, serait ainsi la base métaphysique de l’éthique. C’est dire que la sagesse pratique — la justice et la charité — coïnciderait exactement dans ses résultats avec les enseignements de la sagesse théorique la plus profonde et la plus audacieuse. Le philosophe pratique, autrement dit l’homme juste, l’homme charitable, l’homme généreux, ne ferait donc rien d’autre qu’énoncer par l’acte la même vérité à laquelle aboutissent au prix de laborieuses enquêtes les spéculations du philosophe-théoricien le plus pénétrant. Au demeurant la grandeur morale n’en reste pas moins toujours supérieure à toute sagesse théorique ; car celle-ci n’est