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v. morale et religion

jamais que fragmentaire, et il lui faut passer par le chemin toujours long des opérations rationnelles pour arriver au même résultat où l’autre sagesse atteint d’un seul coup. Par elle-même, en effet, et ne fût-elle accompagnée d’aucune supériorité intellectuelle, la noblesse morale témoigne des plus profondes intuitions ; elle est l’expression d’une suprême sagesse ; elle a de quoi faire rougir le savant ou l’homme de génie, s’ils montrent par leur façon d’agir que cette grande vérité qui s’exprime dans la vie de l’homme bon est demeurée étrangère à leur cœur.

Tout mouvement de pure et authentique bonté, tout geste secourable où l’on ne peut trouver aucune trace d’intérêt personnel et qui est exclusivement déterminé par la souffrance d’autrui, apparaît en définitive, et si on le scrute jusqu’en son fond, comme un acte mystérieux, comme la manifestation d’une mystique pratique, en ce sens qu’il a sa source première dans la même expérience qui fait proprement l’essence de toute mystique, et qu’on n’en saurait trouver nulle part ailleurs l’explication véritable. Le simple fait de donner, s’agit-il même de la plus humble aumône, sans viser à quoi que ce soit d’autre qu’à soulager la misère d’autrui, ne saurait se concevoir, si l’on n’admet pas