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Page:Schopenhauer - La Pensée, 1918, trad. Pierre Godet.djvu/364

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la pensée de schopenhauer

souffrance de l’homme, souffrance de l’animal, misère d’êtres qui ne naissent que pour disparaître ? Comment pourrait-il dès lors continuer de dire « oui », par des actes toujours à nouveau répétés de sa volonté, à ce même monde, à cette même vie dont il a désormais pénétré le véritable sens, et l’étreindre ainsi toujours plus fortement, s’y lier lui-même toujours plus indissolublement ? Si donc celui qui est esclave du principe d’individuation, autrement dit de l’égoïsme, n’apercevant jamais dans les choses que le particulier et ce qui est en relation avec sa propre personne, y trouve pour son Vouloir une source de motifs incessamment renouvelés, cette intuition de l’ensemble des choses et de leur essence véritable agit au contraire chez celui qui est capable de s’y élever comme un quiétif[1] de toute espèce de Vouloir. Je veux dire par là que le Vouloir, en lui, se détourne de la vie. Il prend en aversion les désirs et les voluptés par où — il le sait maintenant — cette vie affirme précisément sa volonté d’être ; et l’homme arrive ainsi au libre renoncement, à la résignation, à cet état où toute

  1. Quiétif, mot forgé, sauf erreur, par Schopenhauer, comme contre-partie du terme de motif : ce qui « apaise », ce qui « arrête », en opposition à ce qui « meut ». (N. d. T.)