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v. morale et religion

aux souffrances d’autrui comme s’il s’agissait des siennes, qu’il est devenu par là-même capable non seulement de déployer en toute occasion une parfaite charité, mais encore de sacrifier, s’il le faut, sa propre personne au salut de plusieurs, il en viendra tout naturellement, lui qui a su discerner sa propre essence et se reconnaître lui-même dans toutes les créatures, à considérer aussi comme sien le perpétuel tourment de tout ce qui vit, à faire sienne, en quelque sorte, la douleur de l’Univers. Nulle souffrance, désormais, ne lui est plus étrangère. Qu’il la voie de ses propres yeux, sans pouvoir le plus souvent la soulager, qu’il la connaisse par ouï-dire, qu’il la sache seulement possible, toute misère le touche comme la sienne propre. Il n’est plus l’individu prisonnier de l’égoïsme, qui n’a jamais d’yeux que pour les maux ou pour le bien-être de sa personne ; puisqu’il voit au delà du principe d’individuation, tout ce qui vit, tout ce qui est lui importe au même titre. Il perçoit maintenant le sens général de toutes choses ; il embrasse du regard l’ensemble de la vie et en saisit l’essence. Et que signifie-t-elle, sinon écoulement sans trêve, vanité d’un incessant effort, conflit et déchirement intérieur, et partout, où qu’on regarde, souffrance,