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la pensée de schopenhauer

La vie est pareille à une piste circulaire couverte de charbons ardents, que nous sommes condamnés à parcourir sans trêve, et où de temps en temps seulement nous pouvons poser le pied sur la terre nue et fraîche. Qu’il se trouve précisément traverser un de ces endroits frais ou qu’il en aperçoive un autre tout proche devant lui, il n’en faut pas plus pour consoler celui qui est esclave de l’illusion et pour l’encourager à poursuivre sa course. Mais celui qui a su discerner au travers du principe d’individuation l’essence identique de toutes choses, celui-là est devenu insensible à ce réconfort trompeur : il se voit lui-même occupant à la fois tous les points de cette route qu’il embrasse tout entière du regard, et plutôt que de continuer à y marcher, il en sort. Son Vouloir fait volte-face ; il cesse d’affirmer le principe même de son être, que reflète le monde des apparences sensibles ; il le nie. Tel est le sens de la transformation intérieure qui s’opère chez l’homme, quand de la vertu il s’élève à l’ascétisme. Désormais, en effet, il ne lui suffit plus d’aimer les autres à l’égal de lui-même et de faire pour eux tout ce qu’il ferait pour lui ; mais il prend en aversion cela même qui se manifeste dans le phénomène de son propre individu : le Vouloir-vivre, principe et substance d’un monde dont il a reconnu la misère.