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v. morale et religion

mières du christianisme et qui voyait plus profond que les sages antiques — el delito mayor del hombre es haber nacido, « la plus grande faute de l’homme, c’est d’être né ». Sitôt qu’on ne considère plus l’homme comme l’œuvre d’un autre être, lequel l’aurait fait surgir directement du néant, on cesse aussi de trouver absurde que l’homme puisse venir au monde déjà pécheur et coupable ; car c’est en expiation de cette faute — d’être né —, laquelle est nécessairement un effet de son propre Vouloir, que l’homme, même s’il pratique toutes les vertus, demeure légitimement voué à toutes les souffrances physiques et morales, en un mot, qu’il n’est pas heureux. Ainsi le veut cette justice éternelle, dont j’ai parlé ailleurs. Et si l’on se demande pourquoi, en définitive, saint Paul, saint Augustin et Luther ont pu enseigner que nous ne sommes pas justifiés par les œuvres, rappelons-nous le principe operari sequitur esse (l’acte est la conséquence de l’être) et comprenons tout ce qu’il signifie : il revient à dire que si nous agissions réellement comme nous devrions agir, c’est que nous serions aussi réellement ce que nous devrions être. Or, s’il en était ainsi, nous n’aurions pas besoin d’être délivrés de notre état présent ; nous n’aurions pas besoin de cette