Page:Schopenhauer - La Pensée, 1918, trad. Pierre Godet.djvu/378

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
336
la pensée de schopenhauer

pierre tombe à terre, à jamais incapable de comprendre qu’en déchirant cette proie c’est lui-même qu’il déchire. Cette nécessité, c’est le règne de la nature ; la liberté, c’est le règne de la grâce.


Sur le christianisme. Péché et rédemption.

Les Anciens, notamment les Stoïciens, se sont vainement efforcés de démontrer que la vertu suffit à procurer à l’homme une vie heureuse ; entre cette affirmation et le témoignage de l’expérience la contradiction était flagrante. Au fond — et c’est là ce qui explique leur tentative — ces philosophes, sans bien s’en rendre compte, partaient de l’idée qu’il était juste qu’il en fût ainsi : quiconque, à leurs yeux, était exempt de faute devait aussi être exempt de souffrance, c’est-à-dire heureux. Mais le christianisme, qui a su voir jusqu’au fond du problème et l’envisager dans toute sa gravité, nous en donne aussi la vraie solution quand il nous dit que les œuvres ne justifient point. Cela signifie qu’un homme aura beau avoir observé tous les commandements de la justice et de la charité, pratiqué uniquement l’αΥαθον, l’honestum, il ne sera pas pour cela, comme le veut Cicéron, omni culpa carens, « exempt de toute faute », parce que — comme le dit Calderon, en poète qui bénéficiait des lu-