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vi. fragments divers

des jugements sur quoi repose la gloire solide, qui pourra devenir peu à peu universelle. Tout au bas de l’échelle, pour ceux auxquels la valeur du génie est entièrement inaccessible, sa gloire n’est plus que dans le monument qu’on élève à sa mémoire et qui entretient dans les esprits, par un signe sensible, le sentiment obscur de sa grandeur.

Quand on embrasse du regard l’ensemble de l’histoire et qu’on considère ce que signifie réellement, à toutes les époques, la louange des contemporains, on s’aperçoit qu’elle n’est jamais qu’une fille publique, souillée par les mille amants indignes auxquels elle s’est livrée. Comment, dès lors, convoiter encore une pareille prostituée ? Comment s’enorgueillir de ses faveurs et ne pas repousser ses avances ? Au contraire la gloire auprès de la postérité est une beauté fière et prude ; elle ne se donne qu’au vainqueur, au héros, à l’homme rare qui en est digne.

On voit ainsi qu’une des premières conditions pour produire quelque chose de grand, quelque chose par quoi l’on survive à sa génération et à son siècle, c’est de ne point se soucier de ses contemporains,