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vi. fragments divers

qu’on ne saurait s’appliquer sérieusement à rien sans y être poussé par le besoin, par la faim, ou quelque autre convoitise semblable. Le public est également de cet avis, parce qu’il est animé du même esprit, de là le respect qu’il témoigne universellement aux « gens de métier » et sa défiance à l’égard des amateurs. En réalité, c’est pour ces amateurs que l’art ou la science sont un but ; pour les professionnels, considérés comme tels, ils ne sont qu’un moyen. Or ceux-là seuls mettent réellement tout leur sérieux à une chose qui s’intéressent à cette chose pour elle-même et s’en occupent con amore. Aussi est-ce à eux, non aux salariés, qu’on doit tout ce qui s’est fait de grand dans le monde.

La bibliothèque la plus riche, si les livres y sont rassemblés sans ordre, est moins utile qu’une bibliothèque composée d’un petit nombre d’ouvrages soigneusement classés. De même un savoir considérable qui n’a point passé au creuset d’une pensée personnelle a beaucoup moins de valeur qu’un bagage restreint de connaissances dont l’esprit a médité tous les aspects. C’est seulement en soumettant ce qu’on sait à des combinaisons multiples, en comparant l’une à l’autre toutes les vérités qu’on a acquises,