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vi. fragments divers

pas à l’intellect, comme la lecture, une idée particulière ; elle lui fournit matière et prétexte à concevoir toutes les idées qui correspondent à sa nature propre et à sa disposition actuelle. — On comprend ainsi que l’abus de la lecture ôte à l’esprit toute son élasticité, comme un poids l’enlève à un ressort en pesant continuellement sur lui. Mettre le nez dans un livre sitôt qu’on a un instant de loisir est le meilleur moyen de n’avoir pas d’idées personnelles. C’est cette habitude qui explique que l’érudition rende la plupart des hommes encore plus insipides et plus niais que la nature ne les a faits, et qu’elle leur fasse écrire des ouvrages dénués de tout intérêt et de toute portée. Ils demeurent, comme dit Pope :

For ever reading, never to be read.
(Lisant toujours, mais destinés à n’être jamais lus.)

Pope. Dunciad. III, 194.

Les savants sont ceux qui ont lu dans les livres. Les penseurs, les génies, les hommes qui sont les flambeaux de l’humanité et à qui elle doit tous ses progrès, sont ceux qui ont lu directement dans le livre du monde.